BOSSK - Audio Noir
Throat Ruiner Records - Experimental Post Sludge - UK - 1er Avril 2016 - 7 titres – 45 minutes
Je l’ai déjà dit, je ne peux rien refuser à certains labels. Mais ils le méritent, ça n’arrive pas par hasard. Je n’accorde pas ma confiance au petit bonheur la chance, mais en me basant sur une relation bilatérale et enrichissante, après avoir expérimenté suffisamment de bonheur à l’écoute de chacune de leurs sorties, et au final, je deviens aveugle et sourd à toute mise en garde. S’il m’arrive de me tromper, et d’être déçu, le contraire est plus fréquent. Alors...Lorsque les Throat Ruiner décident de distribuer en Europe l’album de BOSSK, je n’hésite pas vraiment avant de me lancer dans l’écoute de ce qui finalement restera un des meilleurs albums de Post, tous styles confondus.
Mais les BOSSK, on connaît. Après tout, ça fait déjà dix ans qu’ils trainent leur spleen puissant sur les scènes Européennes, ils ont tenu la distance aux côtés de références, et finissent par en devenir une eux-mêmes, comme le démontre avec une majesté époustouflante ce nouvel LP (ou 12’’ selon les formats) Audio Noir. Quel drôle de titre pour illustrer une musique aussi riche et pleine de lumière, et d’espoir. Mais après tout, les contradictions étant à la base de toute création artistique, je ne discuterai pas de cette pertinence ou non. Car après tout, Audio Noir l’est.
Il s’écoute, et il est massif, comme une gigantesque ombre qui se projette sur une conscience.
La vôtre, ou la leur, voire celle générale, la perception de la musique. Ou autre chose.
J’aime le Post machin, mais je me méfie toujours du Post Truc. Après tout, ce genre d’appellation permet tous les débordements, et surtout, le n’importe quoi qui s’abreuve à la source tarie de la « liberté d’expression » qui se résume souvent à une vaste fumisterie. Ambiances vides de sens, mélodies pauvres et strates s’empilant au petit bonheur la chance, pour un NEUROSIS, un CULT OF LUNA, un HYPNO5E ou un TENGIL, nous avons droit à une horde de suiveurs stériles qui confondent abstraction gratuite et vacuité avec quête d’absolu et expression sincère. Mais précisons d’emblée, et avec fermeté.
Les originaires d’Ashford, Kent, ne feront pas partie de cette horde grouillante de tâcherons stériles, mais pourront facilement s’inviter au banquet des instigateurs. Car ils sont trouvé une recette imparable pour qu’on les cite en tant que créateurs. Ils ont brouillé la frontière entre le Post Hardcore, le Post Metal, et le Post Rock. Comment ? En ignorant les barrières et les balises, en restant libres. Et surtout, en travaillant leurs mélodies, leurs structures, et leurs progressions. Et de fait, Audio Noir pourrait se révéler comme une nouvelle pierre de Rosette d’un genre qui n’existe pas encore. Le Post Post. L’au-delà de l’au-delà. Et qu’y trouve-on ? De la musique, rien d’autre.
Si les BOSSK se sont retrouvés sur les mêmes estrades que les COL, il n’y a aucun hasard. Mais ils auraient tout aussi bien pu partager l’affiche avec nos HYPNO5E tant la liberté créatrice dont ils font preuve se rapproche d’un Acid Mist Tomorrow. Mis à part que leur personnalité la plus abrasive est assez éloignée des crises violentes des Français. S’ils n’hésitent pas à utiliser la puissance comme moteur d’émotions, ils la canalisent et se collent à l’échine des NEUROSIS dans ces instants les plus douloureux, qui sont somme toute assez rares. On en trouve trace sur « Heliopause », qui évoque le MASTODON le plus éprouvant et maladif, mais aussi lourd, emphatique, marchant main dans l’âme avec un UFOMMAMUT traînant des pieds sans savoir quel chemin emprunter.
Pas de Post quoi que ce soit ici, mais du Sludge, un peu Doomy, mais massif et sans oubli. Moins de quatre minutes pour développer un riff épais, et pour s’illustrer un peu, comme une île perdue dans un océan de quiétude.
La quiétude, c’est le troublant « Kobe », qui s’éloigne des rivages Metal pour se concentrer sur des harmonies très pures, une basse régulière et en confiance qui avance sans se poser de questions, tandis que les cocottes de guitare en écho tapissent les murs de nuages et d’un ciel apaisant, une sorte de musicothérapie qui génère une lumière blanche pas du tout aveuglante, mais béatifiant l’esprit. Un voyage astral au-delà. Encore une fois. Mais comme les BOSSK manient l’art de la nuance et de l’opposition comme personne, ils enchainent ce moment de plénitude avec une charge suffocante et longue, « Atom Smasher » qui une fois de plus utilise la pesanteur comme perte de repères. Guitares énormes et absolument Sludge, riffs pleins et chant en retrait, changements de rythme qui accentuent encore plus la sensation d’écrasement, et on repart dans les 70’s bénies, comme si le SAB avait trouvé la recette magique du regain d’énergie.
Et si « Nadir » fait opposition de son nom par une musique en pleine montée nostalgique onirique, « The Reverie II » qui se pose en contrepoint de l’ouverture « The Reverie » en retrouve les contours doux, les angles arrondis, et les harmonies subtiles.
Pendant dix longues minutes, BOSSK m’a fait retrouver les sensations éprouvées lors de la découverte du Six de TENGIL, sans changer d’identité pour autant. En choisissant d’occulter presque entièrement le chant pour se concentrer sur l’instrumental (les couches vocales sont tellement enterrées dans le mix qu’on les perçoit plus comme un arrangement qu’autre chose), et ce en fin de parcours, les Anglais ont pris un risque énorme en privilégiant le ressenti sur l’expression. Mais ce morceau de clôture représente parfaitement leur nature ambivalente, et alterne avec bonheur les envolées Heavy et les breaks d’une pureté troublante, avec une fois de plus une multitude de sons virevoltant autour de votre sensibilité.
Echo sur les guitares, basse en totale liberté qui en profite pour se mouvoir, arpèges distillés avec parcimonie mais pertinence, et les vagues alternent leur passage sur la grève, avant de monter en puissance pour un crescendo final superbe, à l’opposé du nihilisme, mais si proche du chaos noir absolu qu’il en justifie son titre.
Et puis, le silence…
Avec Audio Noir, BOSSK parvient à convaincre. Sans forcer, sans manipuler, mais en proposant des morceaux intelligents, qui se réclament du Post sans pour autant le revendiquer ouvertement. Ils sont en effet plus loin que le simple Metal, mais inconsciemment, par nature. Ils sont…autre chose. Une alternative qui refuse les limites, un peu Post Hardcore, Sludge, Shoegaze, Dream Indie, Chamber Pop, mais rien de tout ça en même temps. Ils sont…un rêve, qui parfois tourne au cauchemar. Mais surtout, un avenir. Et plus simplement, un groupe majeur, qui vient de signer l’un des albums les plus fascinants de ce premier semestre.
Post. Oui. On lui donne la signification qu’on veut. Celle offerte par BOSSK est soumise à votre interprétation. Mais on ne peut pas refuser une invitation sous prétexte qu’on ignore son but. C’est le propre des expériences les plus fondamentales.