Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Metal and Oddities Reviews
Archives
17 février 2016

POGAVRANJEN - Jedva Čekam Da Nikad Ne Umrem

a0077941125_10

Arachnophobia Records - Avant Garde Black Metal - Croatie - 15 Février 2016 - 6 titres – 44 minutes

Vous avez vu The Crow? Vous suivez un peu Games Of Thrones? Non? Alors sortez, puisque ça signifie déjà que vous n'avez aucun goût et que je vous conchie par conséquent. Que ceux qui restent se sentent élus, car ils le sont.

Dans le film d'Alex Proyas, Eric Draven revenait du royaume des morts guidé par une corneille. Dans la série inspirée de l'oeuvre du fantasque George R.R Martin, Bran Stark est plus ou moins capable de se désincarner dans l'esprit d'un animal pour entrevoir l'avenir et le passé sous forme de visions. Pourquoi toutes ces précisions?

Pour deux raisons.

D'une, étymologique. POGAVRANJEN, en Croate, ne veut absolument rien dire. Sauf si vous faîtes partie d'un groupe, que vous avez bu, et que vous souhaitez concrétiser nommément une créature hybride tenant du corbeau. De deux, la musique présentée sur le troisième album du combo du même nom est en quelque sorte une désincarnation du Black Métal, rematérialisé dans un esprit étrange et obscur, qui pourrait avoir des origines animales si on le souhaite. Ou démoniaques. Mais inhumaines en tout cas. 

POGAVRANJEN est donc un collectif Croate né aux alentours de 2008, dont le line up comprend donc six membres, plus quelques satellites, et qui vient donc de sortir en février son troisième album, Jedva Čekam Da Nikad Ne Umrem, qui fait suite à Raspored Užasa (2013) et Sebi Jesi Meni Nisi (2014). En traduction littérale, ce nouveau longue durée donnerait quelque chose comme "Regarder plus loin pour ne pas mourir", ou "Trouver un moyen d'être éternel", selon l'interprétation. Et si on respecte la logique de pensée d'un groupe au moment de baptiser son dernier né, chaque chanson résulte donc d'une étape de ce processus de recherche, se concrétisant au travers d'un Black Metal d'avant-garde, presque Post dans l'esprit, mais bien au delà de tout ce qui peut se faire actuellement en la matière.

Les musiciens de POGAVRANJEN, à contrario de bien d'autres artistes évoluant dans ce créneau difficile et libre, ne se répandent pas en longues thématiques fluctuantes qu'ils observent de loin. Ils préfèrent comme ils l'affirment empiler les couches et les strates sonores pour étayer un propos dense, et de fait utilisent bien des ingrédients externes au Black Metal originel. 

Mais est ce que cette volonté traduit une inspiration de fait? La réponse est un oui massif, et si le terme de Post Black est un peu trop galvaudé à notre époque pour encore être utilisé, il faut admettre que les Croates vont beaucoup plus loin que la simple agressivité de base. On pourrait dans une volonté de banalisation les rattacher aux expérimentaux VED BUENS ENDE, mais la comparaison ne ferait qu'affleurer la réalité et servir de contexte. Il est en fait très ardu de savoir si la musique du sextette résulte encore d'une volonté nihiliste propre au BM, et je crois pouvoir affirmer que mis à part les ambiances sombres et délétères qui sont développées, pas grand chose ne les rattache à ce créneau.

Alors parlons simplement de musique. Après tout, là est bien le point d'origine non? 

Six morceaux, mais cinq à vrai dire, accompagnés de l'intro chaotique "Keres", qui se complait dans des délires tenant autant de l'avant-garde que du Free Jazz, avec une touche de Mathcore débridé et absolu. Une entrée en matière qui ne prépare absolument pas à la suite qui vous attend, beaucoup plus construire et posée. Mais dès "Maitreya", le ton est donné, et la liberté s'imposera ou le désir se brisera. On apprivoise pas une telle créature, c'est elle qui se livre ou non, et il faut pour ça avoir une sensibilité toute particulière.

J'ose la comparaison. Il pourrait exister une corrélation entre la scène Arty Prog Rock Française des années 70, MAGMA en tête, et POGAVRANJEN. En fait, certaines pistes pourraient même avoir été composées par l'ensemble de Christian Vander, et interprété par un SHINING par exemple, ou DODHEIMSGARD. Beaucoup de lancinances, d'impulsions soudaines, un gros travail vocal, avec une incarnation totale d'Ivan Eror, des stridences acides qui déchirent le silence, et surtout, cette basse en totale contradiction, qui évolue tout à fait sereinement dans un environnement très compact. 

Ne vous attendez surtout pas à d'énormes riffs implacables, le propos n'est pas là. Ces guitares sont justement totalement en contre pied du BM traditionnel, et souvent en distorsion légère, voire en son clair. Elles peuvent même parfois rappeler la scène alternative US des années 90, dans leur absence de recherche harmonique. On pourrait même y entrevoir un peu de SONIC YOUTH ou des FLIPPER avec un peu d'imagination, mais en tout cas, tout sauf l'influence de MAYHEM, MARDUK ou autres DARK FUNERAL. Et finalement, tout ceci sonne comme une approche progressive d'un Metal pas si avant-gardiste que ça, qui ne rechignerait pas à réveiller le fantôme du Dark Rock des 80's pour le confronter au miroir du Heavy à tendance Gothique des 90's (PARADISE LOST), le tout joué à l'envi par un OPETH moins nostalgique et poétique qu'à l'accoutumée. Ça peut sembler tiré par les cheveux mais c'est en tout cas le sentiment qui ressort de cet album très particulier. 

Si vous souhaitez avoir un résumé de l'affaire sans trop aller en profondeur, je ne saurais que trop vous conseiller de vous référer au morceau final, "Olam Ha-Ba", qui reprend toutes les directions empruntées précédemment, et qui met même l'emphase sur la moiteur du climat pour le rendre encore plus étouffant. Guitares qui se perdent dans des arpèges un peu glauques, arrangements sonores qui truffent le panorama de détails inquiétants, rythmique qui se libère sur des breaks soudains, basse toujours en totale indépendance...Mais il n'empêche que chaque titre à son cachet personnel, comme le démontrent les murmures de "Xolotl", soufflés d'une voix atonale et portés par des guitares en accords clairs, avant qu'un break très emprunt du progressif des 70's mâtiné d'une légère touche d'Occult Rock n'intervienne. Tout comme la progression rythmique de "Parahaoma" qui se déroule au son d'une litanie disharmonique absolument assumée... 

Mais décrire Jedva Čekam Da Nikad Ne Umrem reviendrait à tenter de capturer l'essence même de la liberté d'expression, ce qui vous en conviendrez est impossible. Ce troisième album des Croates est aussi indépendant que peut l'être un animal dans son environnement naturel, et même si je vous ai laissé quelques pistes pour mieux l'appréhender, la seule solution pour le comprendre est de s'y immerger, l'esprit ouvert et le coeur affranchi des attentes.

Mais le BM n'en finira donc jamais de nous surprendre, et la scène de l'Est se montre toujours aussi aventureuse et avide d'expérimentation. 

Mais après tout, tant que le résultat est de ce niveau, qui irait s'en plaindre?

 

 

Publicité
Publicité
Commentaires
Metal and Oddities Reviews
Publicité
Publicité