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Metal and Oddities Reviews
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7 février 2016

JESU & SUN KIL MOON - Jesu & Sun Kil Moon

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Caldo Verde Records / Rough Trade - Experimental Indie Indus Folk - USA/UK - 21 Janvier 2016 - 10 titres – 79 minutes 

Voici le type même d'album qui est extrêmement difficile à chroniquer. Pourquoi? Parce qu'il échappe à toute étiquette, parce qu'il parle au coeur, à l'âme, parce qu'il ne peut pas être rationalisé et doit rester dans une abstraction de jugement total...Et mille autres raisons qui dépendent toutes de l'émotion qu'il provoquera, et non des réactions qu'il suscitera. Un album riche, dense, simple mais d'une complexité absolue, d'une beauté fabuleuse qui pourtant échappera à nombre d'entre vous, non qu'ils ne comprendront pas, mais parce qu'ils ne ressentiront pas. Là non plus, pas par absence d'objectivité ou de goût, mais simplement à cause d'une sensibilité...différente.

Mais si vous connaissez les deux artistes qui ont collaboré sur ce projet, vous saurez exactement ce que je veux dire. 

Car plus que de groupes, il faut parler d'artistes ici, et presque d'âmes soeurs. D'un côté, JESU, et sa tête pensante, Justin Broadrick, NAPALM, GODFLESH, etc...Vous le connaissez très bien. De l'autre, SUN KIL MOON, ou plus directement Mark Kozelek. Deux visions de la musique très intimes, avec des points de divergence énormes mais aussi des rencontres convergentes inévitables, mais au delà de ça, un désir d'aller plus loin, plus profond en soi pour en ressortir les émotions, les tremblements, les hésitations, les blessures et faire apparaître pudiquement les cicatrices.

Il y a longtemps que les deux hommes se connaissent. Opiate Sun, l'album de JESU est sorti en 2009 sur le label de Mark, Caldo Verde. Justin a d'ailleurs interviewé son ami quelques temps plus tard, avant que celui ci ne reprenne à son compte le séminal et terrifiant "Like Rats" de GODFLESH. Mais penser que cette collaboration n'est rien de plus qu'une somme de deux parties serait une cruelle et terrible erreur. Car comme beaucoup d'oeuvres, il est beaucoup plus grand que deux individualités qui mettent leur sensibilité et leur univers en commun.

Il est plus que ça, mais plus que ça, il est...autre chose. 

Bien évidemment, il porte la signature et le code génétique de JESU et SUN KIL MOON, mais celui ci a muté, et s'est vite adapté à sa nouvelle enveloppe. Et une simple écoute, même survolée vous suffira à valider ce constat. C'est un disque qui demande des efforts, qui se laisse aller à la plénitude, mais aussi aux restrictions. Pas de temps, bien sur, puisqu'il atteint presque la durée fatidique des quatre vingt minutes, mais de concision, pour ne pas se perdre sur le chemin de l'expérimentation.

Mais comme je le disais, il est très difficile d'en parler. Presque impossible même. Je vais quand même tenter ma chance. 

Son entame est pourtant très franche, et le diptyque "Good Morning My Love"/"Carondelet" laisse parler une guitare très abrasive et lourde, dont la tête de manche est encore plus enfoncée en terre par une section rythmique monotone, qui martèle ses coups comme autant de coups du sort. On pense à JESU évidemment, mais aussi à GODFLESH, pour cette lancinance, cette façon d'hypnotiser l'auditeur qui reste fixé sur un métronome Indus qui oscille sans relâche de droite à gauche.

La voix est claire, mais incantatoire, les mots se détachent dans l'air, et on se souvient même en cette occasion du fameux Lulu, de Reed et METALLICA, pour cette façon de laisser planer des lignes vocales en décalage sur une bande son compacte et rugueuse. Mais Jesu & Sun Kil Moon n'est pas Lulu, Broadrick n'est ni Reed, ni Hetfield, et Kozelek est encore beaucoup trop humain pour se laisser aller à de telles histoires sombres... 

La mélodie nette fait timidement son apparition sur "A Song Of Shadows", qui laisse la voix se plonger encore plus dans le spleen,  et à ce moment là, le tournant du disque apparaît, sans qu'on en prenne vraiment conscience. Mais cette délicate et discrète harmonie va s'imposer, et durer...L'humour n'est évidemment pas exclus du projet, loin s'en faut, et "Last Night I Rocked The Room Like Elvis And Had Them Laughing Like Richard Pryor" le démontre avec toute la discrétion inhérente à un déroulement lo-fi, qui place devant le chant quelques arrangements électroniques en retrait, chant qui laisse ses paroles se faire traiter d'une façon concentrique, pour dédoubler son personnage, le tripler, et lui offrir une multitude de silhouettes en écho. "Fragile" met en exergue son titre et se promène tranquillement le long d'une rivière de l'âme, dont les remous brillent d'une acoustique légère qui nous ramène aux grandes heures du Folk Américain, voire même de Van Morrison pourquoi pas, à cause de ces choeurs en cascade, pourtant d'une étonnante sobriété. 

Mais comment oser faire du track by track en parlant d'un tel disque...Je ne m'en sens pas le courage, même si je pourrais dire sans trop le regretter que "Father's Day" ressemble à un tableau peint conjointement par Dylan et The Edge, que "Sally" revient un peu dans le giron de GODFLESH, perturbé par les intrusions de SONIC YOUTH, que le Rock mainstream de "America's Most Wanted - Mark Kozelek and John Dillinger" utilise des lettres de fans pour leur déclarer son amour le long d'accents à la Springsteen/Petty, que "Exodus" est une petite perle Lounge/Dreampop si profonde que l'on n'entend même pas le bruit mat de la pierre qu'on vient de jeter sur son piano, et que le long pavé final "Beautiful You" reste une expérience unique, qui peut évoquer tellement d'images sonores que je vous laisserai vous faire les vôtres, dans votre monde à vous. 

Outre bien sur le lien entre Justin et Mark, cette collaboration est multiple, puisqu'on y retrouve aussi Will Oldham, auteur/compositeur/acteur plus connu sous son nom de scène de Bonnie "Prince" Billy, Rachel Goswell de SLOWDIVE, Isaac Brock de MODEST MOUSE, mais aussi des membres de LOW. Mais évidemment, les deux moteurs principaux restent Broadrick et Kozelec, qui ont imprimé de leurs caractères respectifs ce LP qui restera comme une expérience fabuleuse et riche pour tous ceux qui tenteront d'en percer les mystères. Un LP si versatile, si profond, si complexe dans sa pureté qu'il risque de garder secrètement ses motivations dans le coeur de ses créateurs, mais qui sans se dévoiler, étale des intentions acoustiques, industrielles, lo-fi, folk, électro, et surtout, une musique exceptionnelle. 

Vous aurez tout loisir de penser que tout ça semble bien complaisant, ou même vain et vide, mais comme je le précisais, c'est un disque très difficile à décrire, et qui fait appel à votre nature propre. Vous pourrez ne pas vous sentir touché du tout, et passer à autre chose. 

Ou vous arrêter, et admirer, écouter, et vibrer. Après tout, c'est ainsi que fonctionne le monde. 

 

 

 

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