CARA NEIR-WILDSPEAKER - Guilt and His Reflection

Broken Limbs - Post Blackcore/ Hardcore - USA - 16 Septembre 2016 - 13 titres – 39 minutes

D’un côté, Dallas, Texas. De l’autre, Dallas-Fort Worth, Texas. Une histoire de Texans en somme. Pour autant, oubliez vos préjugés sur la question, ici on ne porte pas de Stetson, on ne vit pas dans un immense ranch, et si on fait beaucoup de bruit, celui-ci ne résulte pas de transactions fumeuses aux contrats astronomiques. Non, ici, on joue une musique étrange, éminemment puissante et originale qu’il est relativement difficile de classer. Hier soir, en ouvrant ma boite mail, je constate une importante livraison de mes amis de Broken Limbs. Connaissant le flair de ces dénicheurs de talents, je parcours, je fais confiance, et hop…download…Plateforme fournie, trois nouveautés, pas de tri, et ce matin, on commence à éplucher.

Première étape donc, le Texas, et Dallas. Deux groupes, qui se connaissent, et qui traînent leurs basques dans ce (plus très fameux) état depuis quelques années. Pour autant, pas de feeling sudiste, pas de bottes, plutôt des fringues anonymes qui permettent de passer presque incognito dans la faune underground. Et vous dire qu’ils y sont attachés relève d’un gentil euphémisme de feuilleton télévisé…

Allez, il faut bien commencer, et généralement, par les premiers. Alors, CARA NEIR.

Chris Francis (chant et textes), Garry Brents (guitare, basse, programmation, chœurs) ont commencé leur association aux alentours de 2008. Depuis, ils n’ont pas laissé refroidir le feu sacré, et ont accumulé les albums (Part I/Part II en 2009, Stagnant Perceptions en 2011, Portals To a Better, Dead World en 2013 et Perpetual Despair Is The Human Condition plus tôt cette année), les EP, les Split et les simples. Productifs, mais aussi créatifs, et légèrement décalés, tels pourraient être les mots pour les définir. Leur musique est pluri dimensionnelle, assez absconse dans le faits et plutôt directe et sans complaisance dans le rendu.

On y trouve des éléments de Post Hardcore, de Post Rock, de Crust, de Grind, de BM, et même de Chaotic Hardcore joué d’une façon assez Indie. Ils se revendiquent de tellement d’influences que je n’en placerai qu’une petite poignée, citant les plus pertinentes et variées, NEUROSIS, ORCHID, ALPINIST, CONVERGE, BURIED INSIDE, BATHORY ou THE APPLESEED CAST, ce qui valide facilement mon constat précédent au niveau de leur orientation. 

J’ai écouté avec attention leurs sept morceaux, plusieurs fois, et au bout du compte, je ne sais toujours pas vraiment à qui j’ai eu affaire. Les pistes se sont multipliées, les accents modifiés, et finalement, j’aurais pu dans un accès de facilité parler de Post Hybride, empruntant au Crust ses accélérations, au Grind sa folie rythmique, au BM ses intonations occultes, et au Hardcore sa rage…Et vous n’auriez pas été plus informés que ça, ce qui en fin de compte est une solution qui correspond bien à l’éthique du truc. 

Parlons maintenant de WILDSPEAKER, quatuor de DFW (Natalie – chant, Nelson – guitare, Zak – guitare, et Ricky – batterie), qui n’a que deux petites années d’existence au compteur, mais qui sait déjà très bien ce qu’il veut. Ils se rangent d’eux-mêmes avec beaucoup de politesse dans un créneau Blackened Crust ou Hardcore, donnent leur numéro de téléphone, et ensemble, font beaucoup de boucan intelligent. Si l’on en croit leur Bandcamp, ils n’ont pour l’instant été responsables que d’une démo et d’un EP, mais vous aurez bientôt droit aux fruits de leurs réflexions musicales à la fin du mois avec la sortie imminente de leur premier LP, Survey The Wreckage.

Leur cas est beaucoup plus simple, puisque leur musique s’imprègne des ambiances du Crust le plus poisseux, qu’ils traitent d’un point de vue presque Black, tout en maniant leurs instruments comme un combo de Hardcore vraiment investi. Le mélange est détonant, les morceaux courts et intenses, la voix délicieusement hystérique de Natalie s’accorde parfaitement du tissu des guitares de Nelson et Jak, et les quatre collègues savent très bien installer des climats délétères sans forcer. Ils aiment autant le lourd compressé que l’affolé accéléré, et leurs six morceaux font preuve de suffisamment de folie et d’intensité pour captiver votre attention et rassasier votre faim de violence. 

Mais là où ce split prend toute sa dimension, c’est dans sa complétion. Car à l’inverse de la plupart des exercices du style, il a été pensé non comme la somme de deux parties disparates et égoïstes, mais comme un tout. Et lâchons le mot, un concept. Et c’est Garry Brents des CARA NEIR lui-même qui nous l’explique : 

« Le thème et le travail derrière ce split est beaucoup moins conventionnel que la plupart des sorties sous ce format, puisque la thématique a été traitée par les deux groupes. Il s’agit plus d’un album de CARA NEIR et WILDSPEAKER que d’un split. Le concept traite du cannibalisme dans un monde post-apocalyptique, non d’un point de vue graphique choquant, mais plus sous l’angle psychologique de ses effets dus aux circonstances ».

Vous voilà donc informés, ce split en est donc un sans en être un. Il reflète plus le travail conjoint de groupes comme FULL OF HELL et MERZBOW qu’un assemblage de deux faces différentes uniquement réunies pour faire la promotion de deux groupes séparés. Et prend par extension beaucoup de valeur, puisque construit comme une évolution qui débute avec un monde planté par la musique versatile des CARA NEIR, et qui trouve son apogée de violence dans le déluge bruitiste des WILDSPEAKER.

Nous avons donc là un véritable album qui raconte une histoire littéraire et musicale, vue au travers des prismes de deux entités complémentaires mais dissociées dans l’union. Bien joué.

Une fois ingurgitée l’œuvre, rien ne vous interdit d’aller jeter un coup d’oreille aux productions des deux groupes Texans. Vous pourriez largement y trouver votre compte. Et revenir ensuite vers ce Guilt and His Reflection, pour mieux en saisir les tenants et aboutissants.