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Metal and Oddities Reviews
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23 avril 2016

AUTOKRATOR - The Obedience To Authority

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Godz ov War Productions - Industrial Drone Death - France - 20 Avril 2016 - 8 titres – 36 minutes

Je ne sais pas si vous avez eu la chance de voir le film The Experimenter. Il raconte l’histoire de Stanley Milgram, professeur de psychologie à l’université de Yale, qui recrutait des cobayes payés quatre dollars pour se soumettre à une expérience sur l’obéissance et l’autorité. Les deux étaient placés dans deux cabines séparées, sans possibilité de se voir, mais pouvant s’entendre. Le premier devait mémoriser des suites de nombres, et le second les vérifier. En cas d’erreur du premier, le second envoyait des décharges électriques, de plus en plus fortes.

Mais cette expérience était bien sûr faussée dès le départ, et son but était tout autre que celui avoué à l’origine. La « victime » était en fait un complice, et tout ça n’avait pour but que de déterminer le degré d’obéissance d’un sujet choisi au hasard face à une « autorité supérieure ». Cette étude fut sujette à de nombreuses controverses, mais ses résultats démontrèrent que la plupart des gens, bien que réticents au départ, finissaient par obéir aux ordres, malgré la douleur qu’ils infligeaient à un tiers qui finalement, était assez sympathique. L’éternel problème de l’affrontement entre la conscience humaine et le désir de se soumettre à la pression…

 

Cette étude trouve aujourd’hui un autre écho que l’adaptation cinématographique de Michael Almereyda, au travers de ce premier album des parisiens d’AUTOKRATOR. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que le résultat est radicalement diffèrent. Alors même que le film se voulait un peu feutré et en demi-teinte, The Obedience To Authority se veut une charge frontale ininterrompue, et plus proche de la paranoïa d’Orwell que de la suggestion expérimentale universitaire de Milgram. A moins évidemment de ne voir dans cette accumulation de couches sonores le pic d’intensité électrique faussement infligé au « cobaye », ce qui reste une éventualité tout à fait valide.

 

AUTOKRATOR, c’est un duo Parisien formé en 2014, et constitué de LF à la guitare, et David Bailey au chant. Ceci est donc leur première réalisation, éditée par le label Godz ov War Productions, et il est possible d’y voir une multitude d’éléments disparates réunis en une seule approche. Certains parlent de Drone, de Doom, le groupe préfère voir en son art une forme de Death suffocant, ce qui je le concède est une définition assez juste. Ou à la rigueur, un Death vraiment maltraité, et passé au prisme d’un Dark Indus légèrement Black, en tout cas, une accumulation d’agressions qui peuvent en effet incarner musicalement un trauma assez profond qui se résumerait à cette question : 

Quelle attitude adopterions nous face à un abus d’autorité, selon nous injustifié ? 

 

La réponse est-elle véritablement fournie par la longue symphonie développée sur les huit pistes de ce premier LP ? Si tel est le cas, elle fait froid dans le dos, ou au contraire rassure, mais à dire vrai, rien n’est vraiment clair ni analysable en l’état. 

The Obedience To Authority est donc une expérience à part entière, elle aussi construite en plusieurs étapes. Il est tout à fait possible de l’envisager comme celle de Milgram, par paliers de progression, quoique son intensité soit quasiment au maximum dès son entame.

Pour susciter la douleur et la réflexion, les deux Parisiens se sont livré au petit jeu de la fusion, en intégrant des éléments Indus sur une trame Death d’une épaisseur redoutable, qui les rapproche parfois des travaux de GNAW THEIR TONGUES, sans toutefois le côté irritant qui dérange et provoque parfois gratuitement. Leur démarche est en tout point remarquable, puisque loin de se contenter d’un simple amas de strates sonores sans queue ni tête, le duo à privilégié la progression, interrompant régulièrement le cours de son analyse par des segments plus aérés, permettant à l’auditeur de reprendre son souffle entre deux impulsions.

Découpé en huit chapitres plus ou moins longs, ce LP débute par des hurlements (sample tiré du film de Yann Gozlan, Captifs), et adopte donc une démarche inverse, avant de déverser des torrents de décibels qui vous mettent aussitôt la tête sous l’eau, sans possibilité d’anticipation.

 

Attaque frontale, comme je le disais, si concentrée et effrayante qu’il est même possible de la voir comme une digression sur le nihilisme musical du BM, sans pour autant pouvoir l’y affilier complètement. Le duo la définit lui-même comme une « chanson brutale », ce qu’elle est assurément, construite sur le schéma classique intro/couplet/refrain/couplet/refrain/outro, ce qui reste difficile à imaginer pendant l’écoute. Mais ce premier morceau donne la ligne conductrice de l’album en lui-même : 

« Le seul but de l’autorité est d’obtenir…l’obéissance ».

 

Dans le second chapitre, David rentre dans le costume du « tortionnaire », pour un morceau plus Ambient, et moins structuré. Les paliers s’empilent, l’ambiance se resserre, et on pense à une méchante appropriation de GODFLESH, avec toutefois quelques percussions martiales en arrière-plan. Le tout bien évidemment, déformé par des réflexes Death, voire Post Death. Le chapitre trois s’éloigne de toute forme musicale logique, et instaure un climat d’oppression et de claustrophobie. Dark Ambient, rien de plus ni de moins. 

Le quatrième chapitre, est selon ses concepteurs, l’étape la plus brutale de la progression. Des blasts à trois-cents BPM, qui définissent le stade d’obéissance suprême. A ce moment-là, la victime est entièrement sous la coupe de son tortionnaire, et cet état est admirablement bien suggéré par un morceau sans aucune empathie, proche du chaos. Le chapitre cinq continue dans cette voie, persiste dans la souffrance, et garde la même ligne de conduite, avec cette rythmique chaotique et ces riffs de guitare plus sombres qu’une solitude que personne ne viendra rompre. Celle de l’oppressé face à son oppresseur. Nous-mêmes en quelque sorte…Le chapitre six n’est qu’un intermède, empruntant des dialogues au chef d’œuvre d’Henri Verneuil, « I Comme Icare », qui lui aussi d’une certaine façon traitait des dictatures, sur fond de bruitages grondants. 

Sur le chapitre sept, AUTOKRATOR a tenté d’enregistrer la « chanson la plus Heavy jamais composée ». Un simple leitmotiv accompagne la pesanteur ambiante, « La cruauté impose le respect », et une texture de riffs absolument impénétrable et cathartique, brisée sur sa fin par une ultime accélération qui nous ramène au chapitre quatre. Le dernier chapitre n’est qu’une outro ambiante. Mais avec ses six minutes et la collaboration d’Auditor, artiste Indus Ambient, elle constitue une clôture parfaitement en phase avec la logique de l’album. Et elle aussi est terrifiante. Puisqu’elle incarne l’ultime forme de torture interrogative.

 

Bien moins nuancée que le film de Michael Almereyda, la retranscription musicale de l’expérience de Milgram proposée par les Parisiens est bien plus étouffante et éprouvante. C’était un pari très risqué, mais remporté haut la main, bien que la majorité d’entre vous risque de rester hermétique à ce Death extrême renforcé par une approche Indus/Ambient. Il n’en reste pas moins que The Obedience To Authority pose musicalement les bonnes questions. Sommes-nous nés pour obéir aveuglément et ne plus exister en tant qu’individualités, ou sommes-nous capable de nous soulever, au risque de ne plus exister tout court ? Cet album prodigue peut être sa réponse, mais reste surtout une expérience peu commune. 

Pousserez-vous le bouton pour savoir de quel côté vous vous situez ?

 

 

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